Permis de séjour pour raisons privées : Jurisprudence récente

Selon la loi luxembourgeoise sur l’immigration de 2008 (la « Loi de 2008 »), un ressortissant d’un pays tiers disposant de ressources suffisantes peut demander une autorisation de séjour au Luxembourg (article 78 (1) a) de la loi de 2008). Le critère de « ressources suffisantes » est apprécié par rapport au salaire minimum non qualifié luxembourgeois.

En plus d’avoir des ressources suffisantes, le demandeur doit également prouver qu’il dispose d’un logement adéquat, d’une couverture d’assurance maladie et qu’il ne constitue pas une menace pour l’ordre public.

Au cours des dernières années, l’Autorité de l’immigration a, de manière générale, refusé de telles demandes, entre autres pour les motifs suivants :

  • – Le demandeur doit avoir un compte bancaire au Luxembourg
  • – Le demandeur doit avoir un lien étroit avec le Luxembourg
  • — Les revenus du demandeur doivent provenir du ou être « disponibles » au Luxembourg.
  • – L’autorité d’immigration a un pouvoir discrétionnaire d’accepter une demande de permis de séjour pour raisons privées.

La Cour administrative d’appel avait déjà jugé que le demandeur était autorisé à invoquer des revenus en dehors du Luxembourg (Cour administrative d’appel 16 décembre 2021 n°46467C).

Dans deux décisions récentes du 20 février 2023, le Tribunal Administratif a confirmé la position de la Cour d’Appel du 16 décembre 2021.

L’Administration avait refusé des demandes pour des raisons privées, en grande partie pour les mêmes motifs que ceux mentionnés précédemment. En outre, l’Administration était d’avis qu’un logement partagé ne remplissait pas la condition de « logement adéquat ».

Lien étroit avec le Luxembourg et pouvoir discrétionnaire de l’autorité luxembourgeoise

Concernant le  » lien étroit  » avec le Luxembourg et le  » pouvoir discrétionnaire de l’administration « , le Tribunal Administratif rappelle que cette condition n’est pas prévue par la loi, ni par l’arrêt de la Cour administrative d’appel du 16 décembre 2021 :

Ainsi, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis. Au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait dès lors entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision.

La partie étatique explique, dans ce contexte, que le ministre aurait pu discrétionnairement prendre une décision de refus d’autorisation de séjour pour raisons privées à l’encontre du demandeur, même dans l’hypothèse où ce dernier remplissait toutes les conditions légales pour en obtenir une, en justifiant cette décision par le fait que Monsieur […] n’aurait pas démontré avoir un quelconque lien ou attache avec le Luxembourg. Dès lors, en l’absence de justification des raisons de sa venue par le demandeur, le ministre pourrait décider, au vu de l’intérêt général, de lui refuser la délivrance d’une autorisation de séjour. Le tribunal a été amené à retenir, dans les développements qui précèdent, que le ministre ne pouvait pas requérir du demandeur de prouver une condition non prévue par la loi, à savoir celle ayant trait aux raisons de sa venue, ainsi que celle de l’existence d’un lien ou d’une attache avec le Luxembourg.

Le tribunal a été amené à retenir, dans les développements qui précèdent, que le ministre ne pouvait pas requérir du demandeur de prouver une condition non prévue par la loi, à savoir celle ayant trait aux raisons de sa venue, ainsi que celle de l’existence d’un lien ou d’une attache avec le Luxembourg.

Force est de constater que le ministre n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles il estime que le refus d’octroyer une autorisation de séjour pour raisons privées à Monsieur […] serait préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont il a la charge, l’absence de motivation à cet égard mettant ainsi le tribunal dans l’impossibilité de vérifier la proportionnalité d’un tel refus.

Partant, le tribunal est amené à retenir que le ministre ne pouvait pas, sans dépasser sa marge d’appréciation, refuser d’octroyer une autorisation de séjour pour raisons privées au demandeur.

Le logement approprié

Le Tribunal Administratif a rejeté l’argument de l’Autorité de l’immigration selon lequel une propriété partagée ne remplirait pas la condition d’un logement adéquat.

Les ressources financières

Concernant les ressources financières, dans la première affaire (Tribunal administratif 20 février 2023 n°46482), le requérant a produit la preuve d’un compte bancaire avec un dépôt de l’équivalent d’environ 44.850 EUR ainsi que des revenus locatifs dans son pays d’origine pour environ 2.800 EUR par mois. Le Tribunal est arrivé à la conclusion que les revenus locatifs étaient supérieurs au salaire minimum luxembourgeois non qualifié (2 141,99 EUR au moment de la demande) et devaient être pris en compte, de même que l’épargne du requérant détenue sur le compte bancaire.

Dans le second cas (Tribunal Administratif 20 février n°46259), le demandeur a produit des preuves d’un dépôt sur un compte bancaire dans une banque en Chine avec l’équivalent d’un montant d’environ 101.000 EUR et d’un second compte bancaire au Canada avec un dépôt d’un équivalent d’environ 31.200 EUR. En plus de ces dépôts, le requérant a apporté la preuve d’un revenu locatif mensuel d’environ 3 400 EUR. Le Tribunal est arrivé à la même conclusion que dans la première affaire, en ce sens que les revenus locatifs étaient supérieurs au salaire minimum luxembourgeois non qualifié et devaient être pris en compte, ainsi que l’épargne du requérant détenue sur le compte bancaire.

Note:

L’auteur de cet article a agi en tant que conseil et mandataire pour toutes les affaires mentionnées ci-dessus.

A la date de cette publication, les décisions du Tribunal administratif du 20 février 2023 ne sont pas encore définitives et sont toujours susceptibles d’appel.