Update sur les règles en matière de protection des investisseurs de fonds d’investissement

Le 29 mars 2024, la CSSF a publié la circulaire CSSF 24/856 (la « Circulaire 24/856 ») sur la protection des investisseurs en cas de survenance d’une erreur de calcul de la VNI, d’un non-respect des règles de placement et d’autres erreurs au niveau d’un OPC.

La Circulaire 24/856 vient remplacer la précédente circulaire CSSF 02/77 et entrera en vigueur à partir du 1er janvier 2025.

La Circulaire 24/856 s’applique aux fonds d’investissements régulés tels que les OPCVM, les OPC partie II, les fonds d’investissement spécialisés et les sociétés d’investissement en capital à risque (SICAR), mais également, partiellement ou intégralement, à d’autres types de fonds tels que les ELTIF, les MMF, les EuVECA et les EuSEF qui ne prennent pas la forme d’un des fonds d’investissements régulés précités.

Comme la précédente circulaire, la nouvelle circulaire établit des lignes de conduite que les professionnels de la gestion d’investissements doivent suivre en cas d’erreurs dans l’administration ou la gestion d’un OPC.

Selon la CSSF, la Circulaire 24/856 contribuera au maintien de la confiance des investisseurs dans la gestion collective de portefeuille sur un plan général et des professionnels qui exercent leurs activités au Luxembourg en particulier.

Sans être exhaustif, nous exposons ci-dessous quelques points qui nous semblent importants.

  • Rappel des règles sous la circulaire CSSF 02/77

La précédente circulaire CSSF 02/77 (qui reste encore en vigueur jusqu’au 31 décembre 2024) prévoyait déjà l’obligation de réparation des conséquences en cas d’erreur de calcul de la VNI et en cas de non-respect de règles de placement dans les 3 cas de figures suivants :

  1. Des placements non conformes à la politique d’investissement (obligation de réalisation de ces placements)
  2. Dépassement des limitations de placement autres que celles pour lesquelles une dérogation légale était prévue (par l’article 46 de l’ancienne loi de 1988 sur les OPC) (également obligation de réalisation de ces placements)
  3. Dépassement de la limitation des emprunts (obligation de ramener les emprunts au niveau de la limite autorisée)

 

Dans les 3 cas de figure ci-avant, la circulaire CSSF 02/77 prévoyait, outre les obligations précitées, que l’OPC devait se faire dédommager « à concurrence du préjudice subi ».

Dans les deux premiers cas de figure, le préjudice était à déterminer en principe par rapport à la perte résultant pour l’OPC de la réalisation des placements non autorisés.

Dans le troisième cas de figure, l’OPC devait en principe se faire dédommager à concurrence des intérêts débiteurs et autres charges qui sont imputables sur la partie non autorisée des emprunts.

La circulaire CSSF 02/77 prévoit qu’il était possible d’appliquer une méthode de calcul alternative pour déterminer le préjudice subi, en particulier la méthode consistant à déterminer le préjudice par rapport à la performance qui aurait été réalisée si les placements non autorisés avaient subi les mêmes variations que le portefeuille investi en conformité avec la politique d’investissement et les limitations de placement prévues par la loi ou par le prospectus.

La circulaire CSSF 02/77 prévoit également que le dommage devait être réparé par « ceux qui avaient causé ce dommage », sinon, si ces personnes ne pouvaient pas être déterminées, par le promoteur.

  • Règles sous la circulaire CSSF 24/856

La Circulaire CSSF 24/856 (article 3) commence par expliquer le rôle des différentes parties prenantes dans le traitement des erreurs et non-respects. La CSSF rappelle par ailleurs que, pour les fonds d’investissement ayant adopté une forme sociétaire, les dirigeants endossent la responsabilité, ceci même en cas de désignation d’un gestionnaire de fonds d’investissement (GFI). Dans ce cas, les dirigeants gardent une obligation de supervision du GFI et peuvent imposer à ce dernier des lignes de conduites (même si le GFI lui-même délègue certaines fonctions).

La Circulaire CSSF 24/856 décrit également les règles à mettre en place à titre préventif pour éviter les erreurs, les comportements à adopter « a posteriori » et les règles d’indemnisation en cas d’erreur de calcul de la VNI (article 4), de non-respect des règles de placement d’un OPC (article 5) ou en cas « d’autres erreurs au niveau d’un OPC (article 6). Pour les « autres erreurs au niveau d’un OPC » sont visées les applications incorrectes du Swing Pricing (article 6.1.), le paiement non conforme des coûts / frais au niveau de l’OPC (article 6.2.), l’application non correcte des règles en matière de cut-off (article 6.3.) et les erreurs d’allocation au niveau des investissements (article 6.4.).

Une nouveauté de cette circulaire est le fait qu’elle tient compte des particularités en présence d’intermédiaires financiers entre les investisseurs « finaux » et le fonds (p.ex une banque nominee). La Circulaire CSSF 24/856 rappelle qu’en présence d’un tel intermédiaire financier, si des indemnisations sont à payer aux investisseurs, l’OPC doit s’assurer que les bénéficiaires finaux, qui ont souscrit/racheté via des intermédiaires financiers, reçoivent les indemnisations qui leur sont dues à la suite de l’erreur ou d non-respect. Si l’OPC n’est pas en mesure d’assurer une telle indemnisation, il doit fournir aux intermédiaires financiers suffisamment d’information pour que ceux-ci puissent assumer leur responsabilité à l’égard des investisseurs finaux.

La circulaire CSSF 24/856 prévoit une règle « de minimis » qui permet (mais n’oblige pas) aux OPC de ne pas payer aux investisseurs des montants d’indemnisation si ces montants ne dépassent pas un certain montant qui est en principe fixé forfaitairement. La règle « de minimis » doit être couverte par la politique et les procédures internes en place pour l’OPC.

La Circulaire CSSF 24/856 prévoit également une méthode alternative d’indemnisation qui est celle d’une attribution de parts additionnelles de l’OPC en lieu et place d’une indemnisation en numéraire (article 7.2.3).

Tout comme la circulaire CSSF 02/77, la Circulaire CSSF 24/856 précise le rôle des réviseurs d’entreprises en cas d’erreurs et de non-respects (article 8).

 

  • Application de ces régimes en cas de litige ou en cas de « delisting » ?

Lorsqu’un fonds d’investissement régulé perd son agrément pour violation d’une ou plusieurs dispositions des dispositions normatives qui lui sont applicables, celui-ci se retrouvera en principe, tôt ou tard, en liquidation judiciaire.

S’il y a eu des manquements, il n’est pas rare que, dans ces cas de figure, le liquidateur engagera des poursuites judiciaires contre les personnes responsables pour obtenir une indemnisation du préjudice subi par le fonds.

Il se pose alors la question si les dispositions de ces circulaires peuvent trouver application pour déterminer les modalités de calcul du préjudice.

A la connaissance de l’auteur de cet article, les juridictions luxembourgeoises ne se sont penchées, jusqu’à présent, qu’une seule fois sur l’application de la circulaire CSSF 02/77 dans un jugement du 13 juillet 2023 (n°2023TALCH06/00969).

Dans cette affaire, le liquidateur judiciaire d’un OPCVM avait assigné la société degestion de ce fonds pour engager sa responsabilité contractuelle pour divers manquements. Le liquidateur avait notamment invoqué la Circulaire 02/77 pour réclamer l’indemnisation de tous les dommages et pertes encourus par le Fonds.

Dans ce jugement, le tribunal rappelle que la circulaire CSSF 02/77 est un document à l’attention des professionnels et vise à leur donner des règles de conduite en cas d’inobservations des règles de placement applicables aux organismes de placement collectif. Le tribunal indique également que la circulaire en question prévoit des préconisations de la CSSF, mais que le tribunal n’est pas tenu de suivre ces recommandations, ceci d’autant que la circulaire 02/77 prévoirait des méthodes de réparation alternatives.

Dans l’affaire en question, le tribunal avait retenu une faute de la société de gestion pour non-respect de son obligation de diligence et de contrôle des risques dans la sélection et le suivi des investissements, mais avait considéré que le dommage en relation causale avec ces fautes ne pouvait pas être équivalent à la perte du portefeuille. Le tribunal était arrivé à la conclusion que le dommage s’analysait en la perte de chance pour le Fonds de ne pas avoir investi dans des positions sélectionnées avec le niveau de diligence et de contrôle des risques requis par les dispositions contractuelles, légales et réglementaires en vigueur.

 

 

Disclaimer : l’auteur de cet article agit comme liquidateur dans l’affaire qui a donné lieu au jugement du 13 juillet 2023. Le jugement du 13 juillet 2023 n’est pas définitif et fait actuellement l’objet d’un appel.